Nouvelle participation au projet de PapaPanique : Potentiel Evoqué
Une photo, une impression, sous n'importe quelle forme : nouvelle, poème, remarque...
Pour ce troisième volet la photo est :
Pour moi, encore une fois, une fiction sous forme de courte nouvelle :
On the Road :
Je roule sur la nationale que nous avons tant empruntée lorsque j’étais enfant.
Je dépasse le panneau indiquant le nom de la ville qui m’a vu grandir et dans laquelle j’ai effectué mes années collège.
Pour les petites classes, j’ai usé mes fonds de culotte sur les bancs de l’école du village dans lequel nous habitions, à quelques kilomètres de là. Avant.
Mon corps obéit soudain à je ne sais quels ordres imperceptibles et voilà que mon véhicule fait demi-tour. Une main actionne le clignotant, l’autre tourne le volant, je chemine désormais sur la petite route qui menait jusqu’au domaine.
La radio peut bien déverser son flot de chansons à la mode, je ne l’entends plus. Je ne sais plus s’il fait beau ou mauvais, je suis reparti deux décennies en arrière. Le chemin qui mène au domaine est déjà devant moi. J’ai le cœur serré, retiens ma respiration, cela fait si longtemps.
Tout est barricadé. Les volets sont fermés, les portes sont closes et les mauvaises herbes ont tout envahi.
Si mon père voyait cela, lui qui se faisait un point d’honneur à ce que tout soit parfaitement entretenu.
Comme sorti de mon enveloppe corporelle, je me vois déambuler garçonnet sur la belle pelouse. Je revis les parties de cache-cache, de loups, les batailles d’eau et les bagarres. Marie, Victor et les cousins. Mémé qui tricotte et Lucie plongée dans un roman.
Les odeurs me reviennent, le tilleul est en fleurs, les hortensias commencent à faner, tout est si loin, j’en suis si prêt.
La vie ne tient qu’à un fil, notre cocon doré, notre bulle n’a pas perduré à l’accident.
Vendre, déménager, laisser un fragment de soi en partant.
Je garde précieusement en moi ses souvenirs heureux mais cette fin brutale reste comme une plaie qui jamais ne cicatrisera.
Je pousse du bout du doigt la balançoire suspendue au saule pleureur. Ceux qui nous ont succédés ont du l’y accrocher.
Déjà il est l’heure de partir, je dois être à Melun pour le dîner.
Je croise un homme au moment de monter dans ma voiture. Dix ans que la maison est inhabitée, un arbre pousse dans le salon, il pleut dans la cuisine, il tempête dans mon cœur... Tout sera rasé le mois prochain, un beau lotissement : garage-double, panneaux solaires, aire de jeux, il est heureux.
Déjà il est l’heure de partir.
Je panse rapidement la plaie qui se rouvrira encore et encore, et démarre la voiture.
Je ne sais même pas s’il fait beau ou mauvais.