• Potentiel Evoqué #2

     

    Potentiel Evoqué #2

     

    Nouvelle participation au projet de PapaPanique  : Potentiel Evoqué

    Une photo, une impression, sous n'importe quelle forme : nouvelle, poème, remarque...

    Pour ce deuxième volet la photo est  : Rue petit paradis par Photog »Raf » Globetrotteur

    J'ai écris pour l'occasion une nouvelle, c'est pour cet exercice le genre que je préfère.

     

    2 mai 1962.

    J’ai 7 ans et demi, mais presque 8, en fait.

    Mon anniversaire c’est le 4 juillet, alors c’est dans pas longtemps du tout.

    Je me dépêche de me rendre à l’école, je ne veux surtout pas risquer d’arriver encore en retard : la dernière fois j’y ai été de 200 lignes : « l’exactitude est la politesse des Rois » à ce qu’il paraît.

    J’habite une ville de Provence, assez importante pour que je me sente citadin, mais suffisamment petite pour que l’esprit village y subsiste. Dans le quartier, on se retrouve avec les copains juste après la classe, sur un grand terrain vague, et là je peux vous dire que ça y va plus qu’un peu. On se la raconte et on s’en invente, des aventures, que même des fois elles viennent directement à nous, comme cette fois où le chien géant de la vieille Lulu nous a coursé une heure durant.

    J’en rigole aujourd’hui mais sur le moment on faisait pas les fiers.

    Je l’aime, ce parcours qui va de la maison à mon école. Je l’emprunte toujours seul car il n’y a que moi qui descende du nord du quartier. Je prends toujours les mêmes trottoirs et je passe toujours aux mêmes endroits. Je monte sur le muret qui borde le cimetière, je saute au dessus de la borne incendie qui vient d’être repeinte en rouge tout neuf et je traverse au passage piéton, en faisant bien attention de ne marcher que sur les bandes blanches. Évidemment.

    Il y a un endroit où il y a toujours plein de soldats. Des gendarmes si vous préférez. J’en aligne toujours une dizaine, histoire de dire, et je repars.

    Mais l’endroit que je préfère c’est la rue Petit Paradis. Il y a jamais un chat, ou plutôt si, il y a que des vieux chats que je croise là-bas. Elle est quasiment toujours déserte car il n’y a dans cette ruelle que des sorties de garage.

    Juste à l’angle avec la rue Condorcet, il y a cette plaque d’un beau bleu émaillé : Rue Petit Paradis... Je suis grand pour mon âge : 1m35, et je peux vous assurer que dans la cour on vient pas me chercher des noises, et puis mon oncle Jeannot m’a appris quelques bons coups de boxe Française, ça éloigne les derniers perplexes... N’empêche, cette plaque de rue, le cantonnier l’a haut perchée, et quand de mes yeux bleu – oui parce que j’ai ça pour moi, des yeux bleus, même si je louche un peu - je la regarde d’en bas et j’ai l’impression qu’elle prolonge le bleu azur du ciel.

    Les jours où il faut beau, évidemment, vous l’aurez compris.

    Ces jours là, lorsque le mistral souffle fort et que les cyprès du bout de la rue dansent au grès du vent fou, ce petit rectangle au nom prometteur, je le trouve romantique. Attention ! Pas romantique dans le genre chochotte, hein ! Faudrait pas vous méprendre ! Mais romantique dans le genre presque magique. Comme s’il s’agissait d’un passage secret pour y arriver, à ce petit paradis.

    Il me reste la rue Condorcet à emprunter et je serais à l’école. Déjà la sonnerie retentit. J’ai trop peur des centaines de lignes, de ces histoires d’exactitude, de politesse et de retenues, je détale plus vite qu’un lièvre.

    Et je peux vous assurer qu’un lièvre c’est rapide, pas qu’un peu. Faut voir comme on les course le dimanche à la campagne, et jusque là on a jamais gagné.

     

    6 mai 2014.

    Notre petit fils est venu passer la semaine.

    C’est les vacances de printemps, il faut bien l’occuper.

    Avec Evelyne on trouve qu’il ne lâche pas beaucoup sa console de jeu. C’est pas faute de lui proposer des activités, mais il paraît que les gosses de maintenant sont tous pareils. De mon temps, avec deux bâtons et trois cailloux, on vous refaisait le monde...

    Je sais bien que c’est un discours entendu, que ça fait réac’ et tout ce que vous voudrez, mais avouez que je ne suis pas loin de la vérité. Je sais bien aussi que le petit a pas eu la vie facile ces derniers temps, et que ce jeu électronique est un peu devenu un refuge et un anesthésiant pour son esprit...

    Mais une belle journée comme aujourd’hui... Un ciel si bleu que même les mers du sud en seraient jalouses. Si c’est pas du gâchis...

    Alors je joue mon va-tout et je propose à mon petit gars de l’emmener au concours de pétanque. Le petit parigot de 8 ans lève enfin le nez de sa console : j’ai piqué sa curiosité au vif.

    Il me demande si c’est loin, il n’a pas envie de marcher... Si c’est pas malheureux...

    Je lui promets qu’on sera vite rendu, l’affaire de 5 minutes, le terrain de boules est derrière l’ancienne école de garçons.

    Je marche à coté de lui. Il marche à coté de moi.

    Nous prenons le même chemin mais sommes sur deux routes qui semblent parallèles.

    Je me demande ce qui cloche chez lui. Et chez moi. Et chez le genre humain en général.Pourquoi un gamin de 8 ans ça galope plus dans les rues en riant fort.

    Je lui explique que c’est le trajet que je faisais à pied 4 fois par jour lorsque j’étais enfant, je lui raconte que les filles étaient dans une toute autre école, ça l'étonne et le fait sourire.

    Une voiture passe bien trop vite, il saisit ma main. Nous longeons le cimetière et je le fais monter sur le muret qui me paraît aujourd’hui bien bas.

    Soudain il pousse des cris d’exclamation : il a vu des soldats. Des gendarmes, si vous préférez. On en aligne une dizaine, histoire de dire. Mon vieux cœur se gonfle, j’ai fait ça tant de fois. Nous ne sommes pas si différents, à y regarder de plus près...

    On traverse on rigolant au passage piéton, en prenant bien garde de ne marcher que sur les bandes blanches. Évidemment.

    Toujours main dans la main on arrive à l’angle de la rue Petit Paradis et de la rue Condorcet. La vieille plaque, d’un bleu désormais passé, est toujours fidèle au poste, et je me rends compte pour la première fois qu’elle n’est pas si haut placée que dans mon souvenir. Il faut croire que j’ai bien grandi depuis les années 60.

    Le petit suit mon regard et reste un moment à contempler ces trois mots. Il a le nez qui coule, un peu de reste de chocolat du goûter sur le menton. Il est beau.

    Il renifle bruyamment sans détacher son regard des 15 petites lettres blanches. Non loin de nous, les cyprès tanguent, bercés par le mistral.

    — Dis Papi ? Ca veut dire qu’il y en a deux ?

    — Deux quoi ?

    — Le Paradis je sais ce que c’est, mais alors... c’est quoi le « Petit Paradis » ?

    Ma gorge se noue, je ravale péniblement ma salive. Je n’avais jamais vu cette plaque de cette façon. Je lui réponds comme je le pense si sincèrement, en cet instant juste parfait :

    — Il me semble que ça doit être ici, en ce moment. En tous cas, on ne doit pas en être très loin...

     

     

    « Pièce de Théâtre !!!Cluedo »

  • Commentaires

    1
    Caramelito
    Jeudi 8 Mai 2014 à 23:34

    Si juste...!

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    2
    Vendredi 9 Mai 2014 à 09:35

    merci Caramelito

    3
    Samedi 10 Mai 2014 à 10:08

    whaou, franchement je te dis bravo... ! Une belle idée, très bien rédigée... Je suis partie en 1962, revenue en 2014... Je me suis laissée emportée, vraiment. Je partage, ça mérite d'être lu !

    4
    cathy
    Lundi 12 Mai 2014 à 09:33
    Très beau. Bravo
    5
    Mardi 20 Mai 2014 à 22:28

    C'est un très beau texte

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