• Le cas Shaun

     

    Le cas Shaun

                     

                     Tout avait à peu près bien commencé. Une invitée surprise évitée de justesse : une couche qui avait débordé, mais pas trop. Un bol de lait renversé, mais qu’à moitié, une dégringolade dans les escaliers, mais sans bras cassé. Et cette fois-ci, j’avais même pu m’offrir le luxe de terminer le thé que m’avait offert George avant d’être réveillée par mes quatre insupportables adorables pensionnaires.

                Je venais de déposer Pretty-Poulette et Numérobis respectivement à l’école primaire et à la maternelle, et rentrait chez moi au volant de mon élégante et stylée poussette-double, avec à son bord Dragibus et Micro-Poulette.

                D’un pas réellement souple et élancé, je battais le pavé des mes nouvelles chaussures à talons compensés, que je sais toujours pas ce qui m’a pris aux soldes, que ça faisait des lustres que j’avais pas mis de talons. Mais passons. Donc d’un pas souple et élancé, je rentre au Six in the City Mansion, et sort les petits de leur véhicule, aussi profilé qu’élégant.

                Micro-Poulette, le temps que je débarrasse Dragibus du combo Bonnet/Écharpe/Manteau-avec-les moufles-attachées-dedans, en profite sournoisement pour se diriger à la vitesse d’une Poulette-Volante vers le placard contenant mes précieux Tupperware, que pour une fois je n’avais pas barricadé à grand renfort de barbelés et autres pièges explosifs.

                Elle retourne absolument tout en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, (d’ailleurs vous remarquerez que les couneries c’est plus vite fait que les devoirs...) et dans sa lancée part à l’assaut des WC, dont la porte n’a évidemment pas été refermée alors que c’est pas faute de le répéter 2000 fois par jour, au bas mot.

                    Elle est en train d’empoigner la balayette quand vous la stoppez net dans son élan. Timing parfait, on ne vous la fait pas, c’est que vous en avez vu d’autres.

                  Pendant ce temps, Dragibus a déjà entrepris de vider les trois mètres cubes de Kapla que vous avez péniblement rangés le matin même. Il s’en détourne après seulement deux minutes de jeu, pour porter son dévolu sur la boite semi-remorque de majorettes, puis sur la dinette, afin de dénicher la fourchette qui tiendra compagnie à sa cuillère à Moka (rappel de produit)

                Vous canalisez l’énergie débordante de Pretty-Poulette en la collant posant délicatement dans son parc, et vaquez à toutes les tâches ménagères qui jour après jour vous enchantent un peu plus. Vous débarrassez donc la table du petit-déjeuner, en constatant que le maxi-pot de Nutella a été vidé en deux jours, videz le lave-vaisselle et renettoyez ce qui ne l’a pas été car vous avez bêtement pensé qu’avec ses petits bras musclés celui-ci allait récurer le plat à gratin carbonisé. Pour finir, vous vous dirigez vers votre machine à laver en sifflotant gaiement, vous la côtoyez tellement souvent que c’est devenue l’une de vos amies intimes.

                Juste au moment où vous parlez météo avec elle, vous entendez Dragibus hurler LA phrase depuis le salon :

                — Dis Moman, tou peux mettre Sauneeuh ?

                — J’arrive Dragibus, je mets une lessive en route.

                — Dis Moman, tou peux mettre Sauneeuh ?

                — Je t’ai dit que j’arrivais, joue au Kapla, enfin aux voitures... et avec ta cuillère à moka.

                — Dis Moman, tou peux mettre Sauneeuh ?

                — Je reviens !!! Maman ne t’entend pas du garage !!!

                — Dis Moman, tou peux mettre Sauneeuh ?

                — Ouiiiii Dragibus, j’ai compris, j’arrive !

                — Dis Moman, tou peux mettre Sauneeuh ?

                — Mais Mutin de Mordel de L’Herbe !!!!! J’arrive !!! T’es bouché à l’émeri ou bien ??? (Naaannn, ça vous le pensez juste très fort)

                Et encore. Je vous l’ai faite courte car en temps réel, ça a duré quinze minutes et vingt-huit secondes... Vous revenez du garage, rouge et échevelée d’avoir hurlé comme un putois pour vous faire entendre de si loin, et trouvez Dragibus installé dans le canapé. Il vous regarde d’un œil noir, doudou sur les genoux, cuillère à la main, il a même retrouvé son vieux jeton Intermarché, c’est dire s’il est prêt à en découdre :

                — Moman ?

                — Oui, mon biquet ?

                — Dis Moman, tou peux mettre Sauneeuh ?

                — Sauneeuh ? A mais j’avais pas compris ! Tu aurais du le dire plus tôt, mon chéri ! Tu vois à quoi ca sert de bien parler ? A se faire comprendre ! Tu notes l’enjeu Dragibus ?

    (Note de l’auteur : maligne la Reine-Mère, hein ? Technique qui marche à l’aise jusqu’à six ans. Prétexter ne pas avoir saisi le sens de la question peut vous sauver bon nombre de situations semblant pourtant très mal engagées. Par contre, passé sept ans, votre enfant vous prendra pour une demeurée profonde, ce que vous êtes un peu sur les bords au demeurant.)

                Vous vous apprêtez à contenter votre rejeton, lorsque Micro-Poulette se manifeste. Elle semble épuisée, or, il est 11h00 et là se présente à vous un grave dilemme.

                Soit vous la couchez (action/réaction, fatigue/dodo) mais vous allez galérer grave pour la sieste de l’après midi durant laquelle elle ne voudra pas fermer l’œil. Et ça, c’est juste impensable (Une petite heure de silence l’après midi est absolument nécessaire à votre survie mentale).

                Soit vous la maintenez éveillée par tous les moyens possibles et imaginables.

    (Note de l’auteur : Il y en a qui ne sont pas d’accord avec ça ? Vous avez TOUS connus cette situation. N’est ce pas dans le fond de la salle ? Francis, tu confirmes ? Merci mon chou.)

                Vous optez évidemment pour la deuxième proposition, prenez votre petite dans vos bras tandis que vous revenez vers Dragibus pour traiter avec lui du cas Shaun. D’une main vous chatouillez Micro-Poulette dont la tête penche, dangereusement alourdie par le sommeil, et lui chantez des chansons rythmées, genre « tiens voilà du boudin » ou encore « chaud cacao », tout en sautillant. De l’autre main, vous saisissez un objet posé bien haut sur une étagère, à l’abri des petites mains visqueuses et poisseuses de vos pensionnaires.

                Dragibus suçote son pouce et vous fixe toujours façon Chucky. Qui sait ce qu’il peut bien vous faire si vous n’obtempérez pas ? Soudain une voix retentit de nulle part :

                — Waw ! Tu vas finir par mettre Shaun, oui ou l’Herbe !?

    Vous êtes sciée, n’en croyez pas vos oreilles. Dragibus a toujours le pouce enfoncé jusqu’aux amygdales et s’est exprimé avec l’éloquence d’un haut dignitaire de la Principauté d’Andorre ! Cet enfant vous bluffe, c’est bel et bien un Gragibus (rappel de produit). Quelles capacités il a quand il y met du sien !

                Passons sur le langage fleuri et revenons à nos moutons. Vous saisissez l’objet tant convoité par votre fils, lorsque vous réalisez que Micro-Poulette s’est endormie dans vos bras. Vous soupirez bruyamment à la pensée de votre après-midi qui risque d’être flinguée, et allez la poser dans son lit en vous promettant d’aller la pincer réveiller délicatement dans les trente minutes, histoire d’avoir un peu de répit tout de même. C’est que vous avez des choses à faire, ne serait-ce qu’écrire des billets bizarres pour votre tout nouveau blog.

                Vous redescendez au rez de chaussée et trouvez un Dragibus menaçant au bas de l’escalier. Ce qui le met dans cet été carrément flippant, me demanderez-vous ? C’est le cas Shaun

                Le cas Shaun ? John Fitzgerald Kennedy a eu son cas Lee Harvey Oswald. Laura Ingalls, le cas Nelly Olson. Luke Skywalker, le cas Dark Vador, et Harry Potter celui de Voldemort... Les Six in the city ont : le cas Shaun.

                Vous retournez donc près de l’étagère susnommée, Dragibus à vos basques, et attrapez Shaun. Votre fils entame une danse de la joie, mi-High School Musical, mi-DirtyDancienne. La lumière se tamise instantanément, un projecteur sort de nulle part et met en valeur son déhanché incroyable : il est fou de joie ! Il exulte ! Il explose ! Il est galvanisé par la perspective de regarder Shaun le Mouton.

    (Note de l’auteur : j’en vois au fond de la salle, oui à coté de toi Francis, qui pensait que je parlais de Shaun of the Dead. Non mais sans rire... Un truc de zombie ? T’es sérieux deux minutes ? J’ai quatre gamins de moins de sept ans moi ! Déjà avec Oui-Oui et Sid le petit scientifique j’ai droit à trois cauchemars par nuit, alors tu penses vraiment que je maso, mon ami ? Fêlée oui, je te le concède aisément, mais maso, non. Je ne te permets pas)

                Shaun le Mouton... Shaun est un ovin, un mouton (si tu préfères ou si tu as un peu de mal avec la langue française), de la race Suffolk. D’après la jaquette du DVD, il – je cite – « frise le délire ». Au cas où tu n’auras pas saisi le jeu de mots, avec la toison d’un mouton on fait de la laine (pour ton pull l’hiver) et des fois j’imagine que la toison peut friser, je pense je ne m’y connais pas des masses en mouton. Jeu de mot, donc.

                Shaun le mouton est plutôt sympa au demeurant. Genre, le gars rigolo, toujours prêt à faire de bonnes blagues au fermier. Il est à la tête d’un troupeau de déjantés, s’est acoquiné avec le chien de berger et livre des batailles sans merci aux cochons (de vraies enflures) et au chat (une teigne). En Guest, je me souviens avoir vu des canards, et, ah oui, un taureau. Dragibus adore d’ailleurs le taureau.

                Vous me direz qu’un mouton délirant chez les Six in the city, ça s’accorde pas mal. Ca dépareille pas trop, il est plutôt bien tombé chez nous l’animal. Pour ceux qui ne connaissent pas, il est tout droit sorti de l’imagination des créateurs de Wallace et Gromitt, donc qualitatif le DVD.

                Alors je vous vois déjà me détailler avec vos yeux de Merlan-Frites/Mayonnaise...

                — Reine-Mère quel est ton problème ? Si le petit aime bien Shaun et qu’en plus c’est un mouton assez cool, qu’est ce qui ne va pas ?

             Alors comment vous dire, mes petits bouchons, dans les grandes lignes je dirais que ça va. C’est plutôt, de se LE TAPER TROIS HEURES PAR JOUR SOUS PEINE DE CRISES D’HYSTÉRIE, qui ne va pas.

              Voilà où est le problème... Détail peut être, mais détail pesant, vous me l’accorderez... N’allez pas vous imaginer que je pense qu’ailleurs l’herbe est plus verte que sous les pattes de Shaun. Non, je sais bien dans chaque chaumière il y a un DVD-Boulet. Là, Dora. Ici, les Télétubbies. Derrière-moi, ce sera Sam le Pompier, et chez toi Francis ? Chasse Pêche Nature et Traditions ? WAW ! Rappelle moi de ne pas venir si tu m’invites, Francis. Ok ? Raymond acquiesce ? Chez toi, c’est... Bonne nuit les Petits ? Pas tous jeunes tes enfants, Raymond.

                Vous aurez saisi le problème : j’adore Shaun, on s’entend hyper bien, mais il squatte beaucoup trop mon salon. Et c’est que ça crotte pas mal ce genre de bestioles, en plus.

                Au début je n’ai rien dit, car je trouvais que par rapport aux autres familles, avec Shaun on s’en tirait pas si mal. Pas de dialogue, des musiques sympa et variées, hormis le générique qui revient entre chaque épisode (ils ont un problème de santé mentale les concepteurs de DVD enfants ?) et surtout une animation bourrée d’humour. Second voire troisième, voire quatrième degré, tout à fait adapté aux adultes, et comme tu l’auras je l’espère pense compris, la Reine-Mère elle fait pas vraiment dans le premier.

                Qualitativement je valide, je plussoie. Je donne volontiers la norme ISO 34524 à Shaun le mouton, mais bon sang !! Qui peut bien tenir avec ça en fond sonore toute la journée ? Pourtant, je limite au maximum, et essaye de tenir mes pensionnaires le plus souvent éloignés de cet objet par trop cathodique, mais avec Shaun impossible ! Je pense sincèrement qu’il se sent bien chez nous et qu’il songe à demander l’asile politique. Alors il balance des messages subliminaux à Dragibus... Je sais c’est un peu tiré par les cheveux mais je ne vois que ça...

                Ce jour-là, je me souviens de l’instant où tout a basculé.

    (Note de l’auteur : Vous avez remarqué que dans mes histoires, il y a toujours un moment où ça bascule)

                Micro-Poulette dormait depuis trente-cinq minutes (Outch !!! Attention au timing !!) et Dragibus regardait Shaun et ses copains voler le scooter d’un livreur de pizza. Rien de bien extraordinaire jusque là.

                Je récurais le plat à gratin qui n’avait pas voulu céder aux avances de mon lave vaisselle Bosch en pensant à Brad et George, lorsque soudain, la sonnerie du téléphone fixe retentit. Tu sais bien, le téléphone que tout le monde utilisait avant le portable, et que maintenant t’en as un mais tu sais même plus pourquoi. Donc quand il sonne, tu cherches d’où vient la sonnerie et tu te tapes le front en ricanant.

                — Ben voui, c’est qu’on a encore un téléphone fixe !

                Le fait qu’il sonne déjà c’est suspect en soi. Mais le fait que quelqu’un cherche à te joindre par ce biais l’est encore plus. Soit ton portable est sur silencieux ou en dérangement et on cherche à te joindre d’urgence, soit c’est l’école à qui tu as refilé ce numéro, histoire de filtrer le type d’urgence avant de dire si oui, tu peux venir chercher ta fille, ou pas. Ou sinon, tu peux encore avoir à faire à des démarcheurs, mais j’ai de la chance ça m’arrive rarement.

                Là, c’était la sécu... Oui mon petit poulet. Brigitte Fontenoy, chargée des rattachements de personnes sur le foyer. Elle me félicite, la famille va s’agrandir ! Je l’assure du contraire : plutôt me faire tatouer un flash code relié à l’ile de la tentation sur le front. Je repense au directeur de la clinique que je suis allée visitée la veille (rappel produit). Il a du raconter n’importe quoi, non vraiment Mme Brigitte, excuse-moi mais je ne saisis pas.

                En une phrase, elle m’asséna le coup de grâce.

                — C’est rapport à Shaun le ...

                — ... Mouton, je termine en m’asseyant avec une grâce toute relative sur le carrelage de ma cuisine.

                — C’est bien cela Mme Six in the City, le petit Shaun. On le met sur votre numéro de Sécurité sociale ou sur celui de Papa Schultz ?

                Je vous fais grâce de l’endroit où je l’ai priée de mettre Shaun. Il y a des enfants dans la salle et Francis se sent mal.

                Après le déjeuner, nous avons joué tous les trois, lu des livres... Mes enfants rayonnaient et nageaient dans le bonheur, puis il fut temps d’aller faire un petit DODO !

                Lorsque Dragibus et Micro-Poulette furent profondément partis twitter avec @morphée et @lemarchanddesable, je pris mon ordinateur portable et décidai de m’installer dans mon salon pour écrire un billet à mes 143 amis Facebook. J’en suis à hésiter encore, dois-je montrer à toutes ces personnes à quel point la Reine-Mère à un grain ? Ils vont fuir et je ne pourrais pas les en blâmer. Je m’apprête à m’asseoir sur mon canapé en cuir (que Numérobis a gravé à son nom quelques temps auparavant, à l’aide d’un bâtonnet de sucette) et je sens quelque chose sous mes fesses. Une patte.

                Shaun le Mouton himself. Sur MON canapé. La tête posée sur MON coussin, en train de siroter une bière, la télécommande à la main. À la cool, l’ovidé. Il s’apprête à zapper sur une émission animalière passant sur je ne sais quelle obscure chaine de la TNT, et bêle comme un beau diable.

                — Chut !!!! Je lui hurle, tu vas réveiller les petits !

                Je vois bien qu’il est déstabilisé par mon ton menaçant. Il comptait sur l’effet de surprise pour avoir l’ascendant sur moi, mais il ne sait vraisemblablement pas de quoi est capable une mère qui à peur de se faire ruiner son heure de tranquillité. (Toutes le mamans me comprennent j’en suis certaine. Oui, toi aussi Francis, ok.)

                Je le choppe par le collier, sa clochette tintinnabule, et de toutes mes forces je l’envoie valser vers l’écran de la télé. Il tente de l’éteindre avec la télécommande mais manque son coup, j’esquive un violent coup de patte et le propulse sur le côté : il se fait aspirer par l’émission de Sophie Davant.

                Je prends soin de lui hurler, mêlant la parole au geste, que je suis super balaise en tajine, et contemple un beau bordel sur le plateau de France 2. Rapidement j’éteins la TV, et reprends mon souffle. Je crois qu’il a compris qui était le patron.

     

    Je vous mets sa petite tête ici. 

    Le cas Shaun

     

    Déjà parce que tant qu’il ne s’invite pas chez vous, il est très sympa, et aussi parce qu’il n’y a PAS DE RAISON QUE JE SOIS LA SEULE A ME LE COLTINER TROIS HEURES PAR JOUR !

    ©Sixinthecity     

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    Tu seras chou et tes cils pousseront à la vitesse de la lumière !

     

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  • Commentaires

    1
    damepoulaid
    Vendredi 24 Janvier 2014 à 23:02

    Chez nous, le n°2 est un monomaniaque musical, il a passé 500 km sur la route des vacances à nous réclamer en boucle le même titre... j'aime bien Shakaponk mais "I'm picky" pendant 4 heures d'affilée, il faut le supporter!

    Encore merci pour nous avoir fait découvrir le petit 5ème de la famille!

     

    2
    Vendredi 24 Janvier 2014 à 23:12

    merci à toi! Shakaponk j'adore, mais comment dire… 4 h… !!! 

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